Sur l’usage politique du patrimoine (octobre 2020) :
Patrimoine : le château de Villers-Cotterêts, le chantier très politique de M. Macron
Emmanuel Macron veut transformer ce château de la Renaissance en « une cité internationale de la langue française ».
Par Cédric Pietralunga, 12 octobre 2020
Laissé à l’abandon, le château de Villers-Cotterêts (Aisne) connaît depuis la rentrée une activité inédite. Près de 200 ouvriers s’y croiseront. Leur mission : transformer la demeure Renaissance, édifiée à partir de 1532 par François Ier , aujourd’hui à l’état de ruine, en une « cité internationale de la langue française » car c’est dans la chapelle du logis royal qu’a été signée en 1539 l’ordonnance imposant l’usage du français dans les documents administratifs et judiciaires, jusqu’alors rédigés en latin.
En mars 2017, alors en campagne pour l’élection présidentielle, Emmanuel Macron doit tenir ce soir-là un meeting à Reims, où il compte dévoiler son programme en matière de culture. Pour illustrer son propos, son équipe a décidé de faire un arrêt à Villers-Cotterêts, où Brigitte Macron l’accompagne. Soutien du candidat, Jacques Krabal, député radical de l’Aisne, insiste pour l’emmener au château, même si le logis royal est déjà inaccessible.
« Emmanuel et Brigitte sont entrés dans la cour extérieure, où des élus les attendaient pour leur présenter un projet de réhabilitation. Celui-ci prévoyait de transformer les lieux en hôtel et casino, avec des fonds privés. Quand ils ont entendu ça, Brigitte a levé les yeux au ciel et Emmanuel a dit qu’on ne pouvait pas laisser faire. » Le soir même, le futur chef de l’Etat annonce que s’il est élu, il rouvrira le château pour en faire « l’un des piliers symboliques de notre francophonie ». Une décision prise « en quelques heures », selon Jacques Krabal.
Mais une fois la décision prise, reste à la mettre en œuvre. Une gageure, tant le lieu est méconnaissable. Propriété de l’Etat depuis la Révolution française, le domaine a connu bien des vicissitudes. Reconverti en caserne puis en dépôt de mendicité au début du XIXe siècle, le château a pris peu à peu un aspect carcéral. Transformé en maison de retraite pour nécessiteux en 1889, le « petit Chambord » a peu à peu perdu son caractère royal. Au plus fort de sa fréquentation, près de 2 000 personnes s’y entassent.
Résultat : la quasi-totalité des pièces du château sont aujourd’hui vierges de toute décoration d’époque et il y règne une atmosphère de sanatorium décrépit. Les toits ont été recouverts de plaques en acier, pour éviter les infiltrations d’eau sur les murs léprosés. « Villers-Cotterêts, c’est un des plus grands scandales patrimoniaux de notre histoire », dit Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN).
Les seuls vestiges de l’époque Renaissance sont la chapelle royale et deux escaliers sculptés à l’entrée du logis. Mais leurs décorations sont plus belles que celles de Chambord. Dans la chapelle, la corniche ornée du chiffre royal « F » et de salamandres – l’animal choisi comme emblème par François Ier – est dans un excellent état de conservation. Sous les toits de tôle, il reste aussi des charpentes d’origine, intactes depuis le XVIe siècle.
« La restauration de Villers-Cotterêts peut être considérée comme le grand chantier d’Emmanuel Macron, au même titre que la Pyramide du Louvre le fut pour François Mitterrand ou le Musée du quai Branly pour Jacques Chirac », assure Stéphane Bern.
Le chef de l’État a décidé de prendre en charge la totalité du coût du chantier, soit 185 millions d’euros
C’est le chef de l’Etat qui a eu l’idée de transformer le domaine royal en « cité de la langue française », qui espère accueillir 200 000 visiteurs par an. Une référence à l’ordonnance signée en 1539, mais aussi au lieu de théâtre que fut le château picard : le Tartuffe de Molière y fut joué en 1664 devant Louis XIV et son frère Philippe d’Orléans. « L’objectif est de restaurer le château pour y accueillir un parcours consacré à la langue française, mais aussi des résidences pour écrivains, des formations à la lutte contre l’illettrisme, des entreprises de traduction, une librairie… », énumère-t-on à l’Elysée.
Emmanuel Macron a décidé de prendre en charge la totalité du coût du chantier, soit 185 millions d’euros. A l’origine, l’Etat ne devait apporter que 85 millions, le reste provenant d’investisseurs privés… Quelque 25 millions d’euros de mécénat étaient également envisagés. Un accord avec les Emirats arabes unis, sur le modèle de celui avec le Qatar pour l’hôtel de la Marine, à Paris, a été un temps discuté mais finalement abandonné.
Le chef de l’Etat a tranché cet été : 100 millions d’euros du plan de relance seront alloués au projet, qui compléteront la dotation initiale. L’Etat prendra notamment à sa charge la restauration des parties du domaine destinées à accueillir des opérateurs privés. « Sans cela, les investisseurs ne venaient pas, l’opération n’était pas viable économiquement pour eux, assure-t-on Rue de Valois. Avec 185 millions, on réalise l’ensemble de la partie culturelle mais aussi le clos et le couvert de la partie destinée au privé. » Une pépinière de start-up et deux hôtels sont envisagés. « L’Etat fait un geste fort pour se racheter de ses fautes », plaide l’entourage de M. Macron.
Pour le chef de l’Etat, ce chantier a également une valeur symbolique forte. C’est volontairement qu’il a choisi une ville de province, dirigée depuis 2014 par un maire Rassemblement national (RN), dans une région déshéritée et désindustrialisée, pour y réaliser le seul grand chantier de son mandat.
« Ce projet est aussi un enjeu de reconquête républicaine, affirme une conseillère. Villers-Cotterêts est emblématique de la volonté du président de ne pas oublier les lieux isolés, enclavés. Ces lieux font la France au même titre que les autres. »
« Emmanuel Macron pense que lorsque les Français voient leur patrimoine tomber en ruines, c’est l’Etat qui les abandonne, approuve Stéphane Bern. Tous les présidents ont voulu leur grand monument. Qu’un jeune chef d’Etat ne se jette pas dans l’art moderne mais dans le patrimoine est un beau symbole. »
Questions :
- Qui a fait édifier le château de Villers-Cotterêts ? A quelle époque ?
- Qu’est devenu ce lieu depuis la Révolution française ?
- Dans quel état se trouve ce château en 2017 ?
- A quels autres chantiers présidentiels ce chantier peut-il être comparé ?
- Quel est le projet mis en avant pour ce monument ?
- A quels événements historiques se réfère-t-il ?
- Quel est le coût estimé de ce projet ?
- Qui va le prendre en charge ?
- Quels seront les usages de ce site ?
- Quel est l’autre sens politique de ce choix d’un château à Villers-Cotterêts ?
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